Infos pratiques > Techniques photographiques mises en œuvre pour des insectes naturalisés

L'ouvrage « Portraits d'insectes », édité au Seuil en octobre 2004, donne un aperçu de la prodigieuse diversité des formes, des couleurs, des ornementations que comporte le monde des insectes, chefs d'œuvre de l'art en miniature. Il porte aussi un nouveau regard sur eux et révèle au grand public l'un des aspects les plus fascinants du règne animal.

Dans ce livre, à l'exception des chenilles, toutes les photographies ont été réalisées à partir d'insectes naturalisés. En revanche dans « Tête à tête avec les insectes » paru au Seuil Jeunesse en juin 2008, la majorité des bêtes sont vivantes.

Pourquoi des prises de vues en studio ?

Photographier des insectes in situ est un pur bonheur, mais la macrophotographie en extérieur connaît malheureusement des limites liées aux contraintes techniques et aux aléas climatiques.

En studio, on contrôle mieux la prise de vue, on dispose d'un temps suffisant pour composer l'image et l'éclairage avec précision, on peut choisir le fond, travailler le graphisme et enfin on utilise des rapports de grandissement maxima, permettant ainsi de photographier au plus près des sujets de tailles réduites, photo limitée habituellement aux espèces plus volumineuses.

Appliquer une démarche de portraitiste qui gère à la fois la préparation des sujets, les fonds et l'éclairage adapté à chaque bête.

Procédures et préparations des sujets naturalisés

Pour magnifier l'insecte naturalisé, il faut équilibrer les formes, harmoniser les couleurs et essayer de redonner à l'animal son éclat initial.

Préparations préliminaires

Il convient dans un premier temps de se procurer des spécimens en bon état de conservation à partir de collections privées ou de bêtes d'élevage.

Manipuler l'insecte naturalisé avec précaution puis déterminer s'il a besoin d'un toilettage. Si c'est le cas, on doit le ramollir pour éviter de le briser et pour qu'il retrouve sa souplesse naturelle. Mettre l'insecte dans un cristallisoir dans lequel, on ajoute du sable fin stérilisé à l'eau bouillante et de la naphtaline.

Après 24-48h, on dépoussière et nettoie le spécimen à l'aide d'un pinceau fin légèrement humecté. Pour les coléoptères sales et ternis, les débarrasser de leurs souillures avec du savon de Marseille, les savonner puis les rincer à l'eau claire. Epongez-les ensuite avec de l'essuie-tout.

Si la bête comporte des moisissures, du vers de gris, on utilisera alors du benzène ou de l'eau ammoniacale au tiers.

Pour dégraisser les insectes (graisses contenues dans le corps qui se répandent à la surface) et éviter ainsi les trop fortes réflexions à la prise de vue, il faut les plonger dans un récipient contenant du benzène cristallisable, de l'éther sulfurique ou de l'eau écarlate, mais toujours avec précaution car les solvants peuvent détruire des revêtements ou des taches pigmentaires.

Préparation des pièces buccales, des pattes antérieures … à la loupe binoculaire

Manipuler les insectes délicatement avec la pince à piquer, des pinceaux doux ou fermes n°1, 2 ou 3, une aiguille emmanchée et des épingles entomologiques.

Préparer les sujets dans une attitude naturelle, disposer et orienter les pattes, les antennes et les pièces buccales pour faciliter l'examination et sur un même plan pour améliorer la profondeur de champs. Choisir la meilleure attitude possible. Une fois le bon positionnement trouvé, bloquer tous les appendices de la bête avec des épingles croisées pour le séchage.

Réparation des spécimens

Au cours des manipulations, lors du transport, en cherchant un angle de vue, en faisant la mise au point, on peut parfois briser des pattes, des appendices divers extrêmement fragiles. Les recoller si nécessaire avec de la gomme arabique ou de la glycérine épaisse.

Recommandations et principes photographiques

Adapter les principes photographiques fondamentaux à la macrophoto.

A partir du rapport 1, la profondeur de champs est également répartie par rapport au plan net alors qu'elle est de 1/3 avant et de 2/3 arrière en photo éloignée.

Poser l'insecte sur une platine réglable (à crémaillère) afin de permettre une mise au point précise.

Choisir un grandissement le plus important possible à la prise de vue en tenant compte des impératifs optiques.

Chasser le plus possible les reflets parasites en modifiant l'angle de la prise de vue, tout en choisissant un positionnement qui demande le minimum de profondeur de champs.

Utiliser un appareil doté d'un viseur lumineux et d'un testeur de profondeur de champ, et d'un objectif macro de haute qualité.


Grandissement

Pour certains auteurs, la macrophotographie s'étend du rapport x0,5 jusqu'au rapport x25, c'est-à-dire entre la proxiphotographie et la microphotographie. Pour d'autres, les rapports de reproduction oscillent de 1 à 10, l'image étant alors 10 fois plus grande que le sujet. Le terme " Grossissement " est davantage réservé aux jumelles et aux lunettes terrestres.

Pour calculer le grandissement (G), deux formules :
G = Image / Objet
G = A / F
A = Allongement total (allongement de l'objectif + allongement soufflet ou tube-allonge ou bague-allonge), F = Focale

En photographie et plus particulièrement en numérique, il est important de dissocier grandissement et champ cadré, ce dernier varie suivant la taille du support (film ou capteur). Ainsi en numérique, au grandissement x1, avec un capteur plein format (24 x 36), le champ cadré est de 24 x 36 mm, il descend à 18 x 28 mm avec un capteur x1,3, à 16 x 24 mm avec un capteur x1,5 et il est seulement de 15 x 22 mm avec un capteur x1,6.

Profondeur de champ

La profondeur de champ qui conditionne la lisibilité de l'image en supprimant par le flou les détails inutiles, est la composante la plus importante. De plus, elle permet de se focaliser sur la partie du sujet que le photographe veut isoler et mettre en valeur. La difficulté de la supermacro augmente de façon exponentielle avec le grandissement. Le photographe doit atteindre l'équilibre optimal, il doit faire le meilleur compromis possible car les phénomènes d'optique physique imposent des limitations. : fermer excessivement le diaphragme détruit une bonne définition et ouvrir le diaphragme limite la profondeur de champs.

La profondeur devient aussi ridiculement faible aux forts rapports de grandissement. Pour bien gérer la zone de netteté, l'objectif doit se tenir le plus possible parallèle au sujet. Il faut déterminer la zone probable de mise au point (répartition identique en avant et en arrière à partir du rapport 1), en effet, plus le rapport de reproduction augmente plus la profondeur de champ diminue. Le rapport de grandissement x0,5 utilisé à f/16 offre une profondeur de champ de 6,4 mm, elle tombe à 2,1 mm au rapport 1, à 0,8 mm au rapport 2, à 0,2 au rapport 5…

Fonds (arrière-plans)

La couleur et la texture des fonds sont très importantes. Le choix de l'arrière-plan, destiné à s'harmoniser aux tonalités du sujet, à ses pilosités, à ses couleurs, sert à remplir l'espace et à créer l'atmosphère de l'image.

Employer des fonds artificiels avec des couleurs complémentaires pour " réveiller " (imprimés, tissus, plastiques) ou naturels (fleurs, feuilles, mousses, écorces) ou des fonds mixtes. Les fonds blancs sont davantage réservés au packshot par les publicitaires et les fonds noirs aux natures mortes, à la minéralogie, gemmologie et aux œuvres façonnées par l'homme.

Se servir aussi des tirages (fonds photographiques) réalisés soi-même en photographiant de la verdure par exemple puis en décalant la mise au point de façon à obtenir une image floue que l'on placera derrière le sujet. Ainsi l'insecte photographié ressort mieux et l'on peut ainsi diaphragmer en toute quiétude et assurer une netteté maximale lors de la prise de vue. Éviter les fonds présentant un dessin trop prononcé.

Principes et techniques de l'éclairage

Placer l'animal " dans l'espace " pour disposer les sources lumineuses en positions frontales, frisantes, latérales ou en contre jour. Bâtir son éclairage méthodologiquement en respectant les bases de la photo de portraits

Établir visuellement l'angle d'éclairage correct et sa direction en déplaçant la source principale autour du sujet jusqu'à ce que la forme et la texture intéressantes apparaissent. L'éclairage principal doit être naturel. N'ajouter un autre éclairage que lorsque c'est nécessaire.

Suivant les cas, employer des fibres optiques, un flash annulaire, des flashes Cobra disposé à 45° et des réflecteurs.

Utiliser des sources lumineuses dont le format est en rapport avec la taille du sujet. Les petites sources fournissent un modelé bien net, mais donnent aussi des hautes lumières ponctuelles.

Dessiner une lumière qui correspond à l'insecte permettant de mettre en valeur ses transparences, ses brillances, ses aspérités, ses appendices…

Comme les portraitistes, on peut utiliser le coupe-flux pour atténuer l'intensité lumineuse sur certaines parties du corps de l'insecte. On emploie différents types d'éclairage : latéral, arrière, par transparence, par transmission, symétrique, axial… en fonction de l'effet souhaité.

L'éclairage uniforme, sans ombre, s'obtient par diffusion et réflexion. On peut interposer un matériau translucide entre le sujet et la source lumineuse. On peut aussi fabriquer une cage lumineuse pour limiter les réflexions parasites des insectes brillants, en laissant une ouverture pour le passage de l'objectif. Un cylindre de papier translucide blanc est souvent approprié pour éclairer les ombres, on peut aussi utiliser du papier buvard blanc pour photographier les sujets réfléchissants.

Mesurer l'exposition avec la carte Kodak gris moyen car le posemètre intégré de l'appareil n'arrive pas à interpréter correctement la lumière des sujets trop contrastés. Pour éviter une mauvaise exposition, irréversible en diapositives qui présente une latitude de pose réduite (faible tolérance aux écarts de contraste), l'utilisation du gris à 18 % (qui réfléchit 18 % de la lumière qu'il reçoit) est fortement conseillé.

Composition de l'éclairage

L'éclairage du fond permet d'établir une séparation de tons entre le sujet et l'arrière-plan. Il faut jouer sur les contrastes de tons clair et foncé, de couleur, de netteté, de texture (ex : fond mat, bête brillante), d'éclairement (rapport 2/1 maximum entre 2 sources). En règle générale, la luminance (quotient de l'intensité lumineuse) d'un fond clair doit être le double de celle du spécimen photographié. Le rapport passe à 1 avec un fond gris neutre, c'est-à-dire que l'exposition du sujet est identique à celle de l'arrière-plan. Le rapport chute à 1/2 pour les fonds noirs.

L'éclairage principal diffus modèle la forme de l'insecte et en révèle la texture. Le déplacer jusqu'à ce que les éléments importants soient visibles de l'emplacement de l'appareil. La source principale doit normalement se trouver à 30° au-dessus du niveau de la tête et à 45° environ de l'axe appareil-sujet. Pour disposer cette source lumineuse, on recourt à la méthode des reflets dans les yeux, normalement dans la partie supérieure des yeux.

L'éclairage d'appoint ou secondaire qui éclaire les ombres denses, les pourtours, sert à éclaircir les ombres formées par l'éclairage principal. Diffus, on l'utilise près de l'appareil à l'opposé de l'éclairage principal. Avec des fibres optiques, on peut aussi l'utiliser en éclairage indirect avec des réflecteurs mats et blancs pour éviter une ombre double.

L'éclairage d'effet localisé ou spot permet d'éclaircir des zones déterminées pour y introduire un contraste de tons. Il ajoute du détail et offre le moyen pratique de séparer le sujet du fond. On peut utiliser à cet effet une troisième fibre optique, un miroir ou réflecteur argenté.

Origine des couleurs

L'éclairage se montre donc essentiel car il permet de mettre en évidence certains détails morphologiques souvent imperceptibles à l'œil nu et révèle des couleurs qui n'ont pas toutes les mêmes origines :

Les couleurs physiques ou structurales, comme les Coléoptères Rutelidés, qui résultent de la réflexion, la diffusion ou la décomposition de la lumière par de très fines lamelles à l'intérieur des écailles recouvrant la cuticule noire, donnent des aspects irisés ou métallisés difficiles à photographier au flash. La maîtrise de celui-ci, très aléatoire sans lampes pilotes, occasionne des brillances disgracieuses et des ombres dures. C'est pourquoi, il vaut mieux éclairer avec des fibres optiques qui ne dénaturent pas les couleurs et facilitent la mesure de l'exposition.

Les couleurs pigmentaires, généralement vives, absorbent les ondes lumineuses du spectre solaire. Ce sont des produits chimiques synthétisés par l'animal. Les bruns, les rouges, les verts proviennent de la chlorophylle consommée, les blancs et les jaunes sont voisins des pigments urinaires tandis que le noir est un produit de l'oxydation. Contrairement aux couleurs physiques qui persistent après la mort de l'animal, les pigments tégumentaires s'atténuent rapidement avec le temps. Exemples : libellules, phasmes, sauterelles, mantes...

Matériel utilisé

Boîtiers 24x36 et accessoires

Pour faire des photos à des rapports supérieurs à x1, on peut employer un soufflet, des bagues-allonges, des tubes-allonges, des objectifs macros, des 50 mm ou des grands-angles munis de bagues d'inversion. On trouve aussi quelques objectifs spéciaux qui permettent de forts grandissements.

Pour les très forts grandissements, je dispose d'un boîtier argentique reflex 24x36 Olympus OM-4 Ti avec un objectif 20 mm f/2 permettant des rapports de reproduction x4,2 à x16 avec le tube-allonge auto télescopique 65-116 ou le soufflet automatique montés entre le boîtier et l'objectif. Pour l'éclairage, un Macroflash double équipé de lampes pilotes pour faciliter la mise au point, enfin un viseur d'angle Varimagni pour un meilleur confort de visée et éviter le torticolis.
Jusqu'en 2006, je me servais aussi d'un Canon Eos 3 et le 100mm f/2,8 macro équipé d'une bonnette macro ou le tube allonge 65mm f/2,8 MP-E 1-5x avec 2 flashes Cobra dotés du système auto-TTL permettant la photographie multiflashes sans cordon commandé par un transmetteur avec ratio de puissance ou par le flash annulaire.
Aujourd'hui, je travaille principalement avec un Canon Eos 5D, boîtier numérique équipé du même matériel macrophotographique.

J'utilise aussi un trépied avec un rail micrométrique (chariot) de mise au point (mouvements avant/arrière sans changer de grandissement lors de la recherche du point net), un statif de reproduction, des fibres optiques (sources de lumière froide, constante, température de couleur, idéal pour les bêtes sensibles à la chaleur), des diffuseurs et des réflecteurs pour plus de modelé.

Pour les grands spécimens nécessitant un éclairage symétrique (ex : ailes de Caligo), j'ai parfois recours aux flashes studio avec 2 générateurs de 400 w/s + 2 parapluies.

Retouches numériques

Tous les clichés de " Portraits d'insectes " ont été réalisés en argentique, sans emploi de filtres, avec des films contrastés de type Velvia. Les photographies ont été parfois recadrées en fonction de la mise en page, dépoussiérées, puis corrigées en couleur et en densité après le scannage, méthodes désormais appliquées avec Photoshop par toutes les agences photographiques. Aucun détourage n'a été effectué.

Dans ce travail, les logiciels CombineZ et Helicon focus (version payante sur PC/Mac), ne m'ont jamais servis. Ils permettent de prendre plusieurs clichés avec des mises au point décalées de manière à combiner le tout en une seule image, augmentant ainsi la profondeur de champs. Spécialisés dans la déconvolution (empilement de plans focaux et reconstitution d'images), ces logiciels donnent des images artificielles bien loin de la photographie artistique !
Ils peuvent cependant être très utiles aux minéralogistes ou autres scientifiques pour fabriquer des images documentaires.

A suivre

Un prochain article sera consacré à la macrophotographie d'invertébrés dans leur milieu.